mercredi 17 février 2010

INTERVIEW ELDORADO MAGAZINE | ABOUT TWIN PEAKS

En octobre dernier, nous organisions un "Graphic Tribute" à TWIN PEAKS au BLACK CAT BONES CAFE à l'occasion des 20 ans de la série. Cédric Rassat, le rédac'chef du magazine ELDORADO nous avait interviewé à l'époque à ce propos. Le magazine est finalement sorti il y a quelques jours en kiosque, malheureusement, après un malheureux concours de circonstances édotorial, seulement une demi-page a été consacré aux œuvres. L'interview ayant sautée (sans rancunes, Cédric), nous vous la proposons dans sa totalité sur le blog.

Comment présenterais-tu Black Cat Bones ? Plutôt comme une maison d'édition ? Et depuis quand existez-vous (je ne me souviens plus de la date) ?

Black Cat Bones est à l'origine une maison d'édition Lyonnaise, mais très vite pour promouvoir les artistes que nous souhaitions défendre et pour partager notre enthousiasme pour eux, nous nous sommes mis à organiser des expositions à droite à gauche, dans divers lieux (et pas forcément toujours des galeries au sens classique du terme). Suite à notre exil au Mexique, nous avons naturellement eu l'envie d'ouvrir un lieu à nous. Mais comme l'ouverture d'une pure galerie d'art ne nous semblait pas viable et que Pola possède certains talents culinaires que nous souhaitions exploiter, nous avons plutôt opté pour l'ouverture d'un lieu mi-café/mi-galerie. Ça n'a visiblement pas été une mauvaise idée puisque c'est aujourd'hui le café qui fait vivre en grande partie la galerie.

Mais à nos yeux Black Cat Bones reste une entité en perpétuel mouvement, rien ne nous dit que dans quelques années nous n'allons pas nous mettre à éditer de la littérature ou des ouvrages d'art religieux contemporains. Nous ne nous sommes fixés aucune limite, nous répondons juste à nos envies et nos préoccupations du moment en espérant que notre travail touche quelqu'un en face. C'est pas très commercial comme démarche, mais nous n'avons aucune envie de finir étiquetés, même si nous souhaitons tout de même véhiculer une certaine image.


(Katryn Schwulst)

Deux mots sur l'exil mexicain et l'idée de travailler par internet ?

Nous sommes partis assez en colère de France. Un peu sur un coup de tête, après une période assez noire faite de chômage, de ras-le-bol et de déceptions diverses, pas d'ailleurs forcément liées à avec nos activités éditoriales. Nous avions l'impression que ce pays ne pouvait plus répondre à aucune de nos attentes. Nous vivions une vie sans aucune réelle perspective d'avenir, autant du point de vue personnel que professionnel. En France tout semble figé. Je vis depuis tout gamin avec l'impression que le pays a arrêté d'évoluer au milieu des années 70. Étrangement, il a fallu partir dans un pays du tiers-monde pour retrouver l'envie et la liberté de faire ce que nous avions en tête. Nous avions besoin d'air, de soleil et de nouvelles opportunités. Six mois après notre arrivée, le projet de café était déjà sur pieds.10 mois plus tard, le lieu était ouvert. Je n'ose même pas imaginer les galères financières et administratives que nous aurions du traverser si nous avions voulu créer la même chose en France. Au Mexique il règne une joyeuse anarchie à moitié structurée qui permet une grande créativité, une ambiance invitant à la spontanéité. Ici nous avons perdus la sécurité sociale mais nous avons redécouvert la joie de vivre et le plaisir de créer sans entraves. Moins d'état, plus d'initiatives individuelles. En gros, nous avons découvert que le libéralisme avait ses bons côtés.

Quant à notre utilisation d'internet, il me semble que n'importe quel éditeur un tant soit peu à la page en fait la même. Nous avons plusieurs sites, plusieurs blogs, un compte Facebook, une page Myspace, c'est pour nous le seul moyen de rester visible, non seulement vis à vis du monde de l'édition classique, distribué en magasin, mais aussi vis à vis des autres éditeurs qui en sont au même point que nous. L'apparition d'internet a permis la démocratisation de la vente par correspondance, nous profitons donc de cet appel d'air et cette manière de fonctionner nous convient plutôt bien.


(El Jefe)

Pourquoi "Twin Peaks", en particulier ?

J'ai découvert cette série en 1989, lors de sa première diffusion en france en deuxième partie de soirée sur la 5. J'avais 15 ans à l'époque, et j'ai littéralement été happé par l'objet, fasciné par les personnages, hypnotisé par le lieu, la mythologie développée. Twin Peaks est une date dans l'histoire de la télévision. Il y a eu un avant et un après Twin Peaks. Vingt ans plus tard on peux encore voir apparaitre ici et là des séries influencées par l'étrange ambiance de la série de Lynch/Frost (je pense à John From Cincinnati, par exemple).

Même dans l'œuvre de Lynch, il y a un avant et un après Twin Peaks. C'est une série qui me semble synthétiser pas mal d'éléments qu'on retrouve dans ses films, mais rallongés, distillés, sublimés. J'aime quasiment tout dans l'œuvre de Lynch mais il n'y a aucun de ses films vers lesquels je reviens avec autant de plaisir que vers Twin Peaks. Twin Peaks est une singularité dans l'œuvre singulière de Lynch.


(Christin Georgel)

Dirais-tu que cette série, peut-être plus encore que les autres films de Lynch, a inventé une sorte de nouvelle mythologie, ou de mythologie secondaire ?

C'est bien là la force des séries par rapport au cinéma, cette capacité à développer en profondeur des personnages centraux, des personnages secondaires, des lieux, des situations, des mystères. Créer un cadre, parvenir à travailler dedans tout en réussissant (ou pas) à renouveler les situations, à faire évoluer les personnages, jongler entre ce que j'appellerais "l'univers-chausson" (on regarde une série comme on chausse ses chaussons, pour retrouver chez soi un univers dans lequel on a ses marques) et le devenir potentiel de l'univers crée.

Les autres films de Lynch n'ont pas réussis à pondre une "mythologie" aussi forte dans la mesure où il est difficile de bâtir quelque chose sur moins de deux heures. Si Mulholland Drive s'était développé sous la forme d'une série comme c'étais le projet au départ, il est fort probable qu'un nouvel univers vraiment très profond et tortueux serait sorti de tout ça, quelque chose de peut-être aussi fort que Twin Peaks. Mais dans l'état, il s'agit juste d'un film possédant une sorte de mythologie presque avortée.

Je crois que l'univers de Lynch est vraiment fait pour ce type de format. Le problème vient du fait que les méthodes de travail gens qui produisent ces séries sont incompatibles avec la démarche créatrice de Lynch.


(Tim Doyle)

Et est-ce que ce n'est pas (ou que ça ne devrait pas être) le but de toute série fantastique que de réussir à inventer et à imposer une mythologie particulière ?

Exactement. C'est d'ailleurs tellement une évidence que certains créateurs de séries aujourd'hui se contentent désormais de crée une mythologie et de s'asseoir orgueilleusement dessus sans forcément parvenir à la faire évoluer. Je pense à Lost, qui a dès le début a crée des situations très fortes et un univers immédiatement reconnaissable, mais dont les intrigues s'annulent les unes les autres par manque d'une vision d'ensemble (dues à des réécritures constantes et des changement d'angle d'attaque permanents).

Certaines séries "non fantastiques" parviennent également à créer leur mythologie. Dès qu'il y a mystère, il y a possibilité de créer des attentes chez le spectateur et nourir, parfois malgré lui, son imagination. Je pense à Battlestar Galactica, qui dans un cadre SF, a réussi à bâtir des histoires passionnantes renouant avec les mythes greco-romains tout en parvenant à en créer de nouveaux (tous ces mystères entourant de l'évolution de la "race" des robots/Cylons).


(Spig)

L'autre exemple récent, ce serait quoi ? "X-Files" ?

Je suis complètement passé à côté de X-Files. Cette série m'a toujours profondément ennuyé. Je n'ai jamais vraiment compris l'impact que cette série a pu avoir sur la culture populaire. Je ne suis pas sûr qu'il existe un véritable équivalent au phénomène Twin Peaks, qui me semble être une véritable singularité. Six Feet Under, je trouve, possédait un vrai univers personnel et un vrai ton. Je ne suis jamais rentré dedans non plus, mais je reconnais qu'il y a un ton vraiment à part.


PHOTOS DE L'EXPO TRIBUTE TO TWIN PEAKS
TIM DOYLE (EU), WES ART (MEX), TANXXX (FR), SPIG (FR), EL JEFE (EU), LIL TUFFY (EU), GIANT SUMO (EU), JAMIE MCGREGOR (UK), PLASTIC FLAME PRESS (USA), THE PINCH (ING), OLLI MIGHTY (FR), JULIEN FELIX (FR), CHRISTIN GEORGEL (FR), KATRIN SCHWULST (ALEMANIA), HUGUES PZZL (FR), DENNY SCHMICKLE (EU), TODD SLATER (EU), HILARY GRAVES (EU), KSENIYA YAROSH (EU), ANTONIO TORRES (MX), ANDREA SANTONI (IT), A.R.RANGER (SUE)

jeudi 4 février 2010

INTERVIEW MATTHIAS LEHMANN | LES LARMES D'EZECHIEL

Les BD de Matthias Lehmann sont trop rares que chacune
de ses nouvelles parutions ne soit pas en soi un événement
.
LES LARMES D'EZECHIEL, disponible depuis quelques mois
chez Actes Sud BD, dans une splendide édition (comme toujours
chez cet éditeur), est probablement l'album le plus "rafraichissant"
(si je puis m'exprimer ainsi pour un album abordant des thèmes aussi
sérieux que celui de l'alcoolisme ou de la mort) qu'on ait pu lire
cette année. La preuve, il n'a été nominé dans aucune
catégorie pour Angoulême 2010.
Petit entretien avec l'auteur. Juste une mise au point
sur les plus belles images de sa vie.

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1/ Bon, désolé, tu dois en avoir marre de cette question, mais bon, comment ne pas te la poser : Dans ta bio qu’ Actes Sud fait circuler, on peux lire que tu te revendiques "Franco-Brésilien". Peux-tu nous en dire plus sur tes origines et en quoi, selon toi, cette "double-nationalité" influe sur ton travail artistique ?

Je n’irai pas jusqu’à dire que c’est une revendication, mon éditeur l’a formulé comme tel peut-être parce que ça peut étonner les gens que je me dise franco-brésilien alors que je suis né et que je vis en France depuis toujours.
Ma mère est brésilienne, mon père est français mais la première langue que mes sœurs et moi avons parlé (car on la parlait à la maison) c’est le portugais. Après il y a beaucoup de références culturelles propres au Brésil qui nous ont été transmises, puis on allait au Brésil souvent, on mangeait brésilien chez nous, il ya tout un ensemble de choses qui faisaient que quand j’allais chez mes petits camarades, je sentait une différence.
Tout ça a dans une certaine mesure aboutit à un sentiment de décalage : on n’a pas tout à fait les mêmes repères que nos contemporains en France et au Brésil, on n’est pas vraiment du Brésil non plus.
Et puis ma mère a toujours vécu à contre-cœur en France alors elle nous a un peu transmis sa nostalgie etc. du coup vers 20 ans, je me suis interessé de plus près à la culture populaire brésilienne, aux contes de Monteiro Lobato, la littérature populaire et les gravures du Nordeste, la peinture « regionaliste » de Portinari ou de Quignard, la musique caipira (sorte de country brésilienne) etc. et c’était presque pour le coup revendicatif d’ inclure ça dans mon travail, surtout dans mes dessins ou mes peintures comme dans « o pesadelo de gustavo ninguem » publié par le dernier cri en 2000 et même dans l’étouffeur, certaines séquences s’inspirent de la nature du Brésil, voire plus précisément de Minas Gerais, d’où vient ma famille.
Bon, tout ça fait partie de moi, je ne sais pas vraiment quand ça m’influence ou pas… dans le dernier livre pas des masses je pense. Enfin pas de manière ostentatoire.

Aligné à droite2/ Au delà de tes origines, on sent malgré tout une grande influence de la BD américaine indépendante dans ton travail, allant de Crumb à des artistes plus contemporains comme Chester Brown. Si le contexte de ton dernier album est français, on a quand même le plus grand mal à se dire que nous tenons entre les mains le travail d'un artiste vivant en France.

L’influence de la bande dessinée américaine c’est certain. Quand j’étais petit je n’ai jamais lu de comics de super héros car ça m’ennuyait trop, par contre j’adorais Franquin, Fred, F’murr, Hergé etc. Le premier américain qui a retenu mon attention c’est Eisner, j’avais emprunté les recueils du Spirit de Futuropolis à la bibliothèque et ça me passionnait, surtout graphiquement.
Après j’ai découvert Charles Burns, Art Spiegelman, Gary Panter, la génération Raw et le lien qui s’est fait après avec mon intérêt pour toute la scène du roman graphique des années 90 (Clowes, Doucet, Brown, Joe Matt,Ware et compagnie) c’est que tous ces gens OSAIENT dessiner au-delà du fait que leur approche narrative était passionnante.
Mais l’influence de la bd américaine c’est presque une vague d’influence qu’a eu l’idiosyncrasie américaine sur moi, et sur plusieurs générations d’artistes et auteurs français il faut dire…. C’est presque devenu une attitude contre-culturelle en France de s’intéresser à la culture américaine depuis les années 60.
A un moment j’étais obsédé le polar behavioriste (comme dirait Manchette), après par le blues rural et la country, le cinéma, la peinture régionaliste type Thomas Benton ou des peintres plus « urbains » comme Phillip Guston etc…

3/ Ton album "Les larmes d'Ezechiel" m'a fortement rappellé la structure de certains films indépendants américains qui n'ont ni début ni fin, ni intro ni une véritable conclusion à donner au lecteur/spectateur. Juste une série de situations, d'entrecroisements d'événements, mais aucune histoire au sens "déroulemnent classique" du terme. Le cinéma as t-il une quelconque influence sur toi ? Si oui, quel genre, quel metteur en scène, quel film t'interpelle ?

A vrai dire, bien que j’aille assez souvent au cinéma, je ne me sens pas trop influencé par ce medium, en tous cas pas sur la forme.
Je l’ai été énormément à une époque ; David Lynch étant mon super héros puis il a fait cette exposition de crouttes à la Fondation Cartier et ça m’a permis de relativiser tout ça.
Par contre si mon livre fait penser aux films estampillés « sundance », je n’ai plus qu’à me flinguer car c’est tout ce que je déteste, ha ha. Hum.
Il y a beaucoup de films qui m’ont marqué bien sûr mais si on me demande UN film, je pense immanquablement à « la poursuite impitoyable » d’Arthur Penn, je ne sais pas pourquoi, ce film un côté assez flamboyant. Mais je pourrais en citer d’autres.
Bon, tu vois, le dernier qui m’ait frappé c’est « les derniers jours du monde» des frères Larrieu et ça n’est pas franchement américain !

Concernant la structure du livre, je crois que j’ai surtout une tendance endémique à ne pas écrire de scénarii « linéaires », je me sens incapable d’écrire une histoire qui se lit simplement avec un début un milieu et une fin, je me sens toujours obligé de rajouter des rebondissements, des digressions et des espèces de ponts que je suis le seul à comprendre (peut-être).
C’est un problème car il est difficile de raconter cette histoire de manière résumée et dieu sait que si tu veux vendre un livre tu as intérêt à raconter des histoires résumables.

4/ Les artistes français actuels sont peu nombreux à être édités chez un éditeur aussi prestigieux que Fantagraphic. On a même plutôt l'habitude de voir des albums de Fantagraphic être édités dans des versions françaises que de voir des albums originellement édités en France sortir aux États-Unis. Est-ce que tu crois que ça a à voir avec ce que je te disais plus haut (la signature très "BD indé US" de tes albums) ? Dans ce cas, pourquoi les américains voudraient éditer un artiste qui fait des choses simliaires à leurs contemporains ?
Pour reformuler ma question : Qu'est-ce qui à ton avis a attiré Fantagraphic dans ton travail à ton avis ?

Mon sentiment c’est qu’il y a une approche des choses très différente entre la France et les Etats-Unis, en France quand tu traduits un auteur étranger, c’est presque considéré comme une démarche patrimoniale, on rend cet auteur accessible au lectorat etc. Aux Etats-Unis je crois qu’on se dit juste que tel ouvrage correspond à une sorte d’approche esthétique commune et ça suffit.
Effectivement, j’ai toujours baigné dans ce creuset de bande dessinée underground que je qualifierais davantage d’international qu’américain (bien qu’il est évident qu’il trouve ses sources là-bas), le dit creuset doit comprendre à tout casser quarante auteurs qui sont plus ou moins publiés ça et là par les amateurs du genre.
Fantagraphics c’est un peu la mecque pour ces gens-là alors évidemment… il faudrait demander à Kim Thompson qui a publié le livre, mais je pense qu’il a surtout aimé le travail graphique. Il est francophone (du moins il lit le français) donc c’était également plus simple de lui soumettre le projet. Le caractère assez onirique et délocalisé de l’étouffeur (HWY115 aux USA) rendait l’ouvrage aussi accessible aux américains qu’ailleurs – je pense que ça vaut pour des auteurs comme Julie Doucet, Max Andersson ou Stéphane Blanquet, l’aspect national n’a pas une très grande importance, il est évident qu’ils et elles partagent tous une culture visuelle commune.
Maintenant pour le moment, personne ne veut des larmes d’ezechiel aux Etats Unis, comme quoi le fait que ça soit plus localisé change certainement la donne.

5/ Un dessinateur/illustrateur français de moins de 30 ans qui publie chez un éditeur aussi prestigieux que Acte Sud, dont les livres sont traduits aux États-Unis chez un éditeur non moins prestigieux, qui dessine également pour des quotidiens francophones très connus. Ta situation doit-être excessivbement enviable aux yeux de pas mal de dessinateurs. Combien reçois-tu de messages plein de haine et de jalousie ?

Pas du tout, personne ne me connaît.
Quant aux quotidiens nationaux, je vais relativiser (malheureusement) : je n’ai travaillé que pour Le Monde et ce, TRES sporadiquement…
Malheureusement, il y a des situation bien plus enviables, c’est plutôt moi qui déteste un tas de mecs.
Ce ramassis de fils de putes.

6/ On te sais également musicien. Je t'ai déjà vu en concert jouant de la guitare en solo, je sais également que tu as récemment monté un groupe avec un autre dessinateur, Nicolas Moog. Que peux-tu nous dire sur ce projet ? Que peux-tu nous dire sur ta "carrière" de musicien en général ? est-ce quelque chose que tu prends autant au sérieux que ton travail de dessinateur/illustrateur ? Ou bien est-ce plus une activité dilettante ?

Je suis tout à fait dilletante et autodidacte, autant dire que je ne suis pas un musicien hors pair mais je m’en fous. Avec Nicolas et un autre ami, nous avions formé le groupe Raw Death qui joue très très rarement et à géométrie un peu variable, ça se débat dans une mare de country gluante et de old time dépressive. On a même fait un petit disque très confidentiel.
J’ai aussi enregistré un autre disque de sept titres sous mon pseudo de Plague Henry, ça fait plus d’un an qu’il est entièrement mixé etc . il ne me reste qu’à le sortir mais je suis chroniquement fauché pour mon plus grand malheur.
Au moment où je fais de la musique je prends ça tout à fait au sérieux et avec plaisir mais je n’ai aucun plan de carrière. Je serais bien en mal d’en avoir un au demeurant, mais tant mieux c’est reposant car l’ambition sclérose.

7/ Pourquoi avoir arrêté la carte à gratter pour Les Larmes d'Ezechiel ? Une envie de travailler avec d'autres technique ? Un désir de travailler plus vite ?

En fait je souhaitais effectivement travailler plus vite et c’est un pari plus ou moins réussi (j’ai quand même mis trois ans à le faire) mais ça n’est finalement pas SI différent de la carte à gratter, à part que je dessine sur la feuille en noir sur blanc mais qu’après je gratte pour faire des effets de gravure. Ça reste assez appliqué je le crains.
Bon je continue à faire beaucoup de cartes à gratter pour des dessins uniquement. Un jour je me suis dit que la bande dessinée est déjà assez fastidieuse à dessiner comme ça, faire ça à la carte à gratter en plus, c’est trop.

8/ Quelle part d'autobiographie trouves t-on dans Les Larmes d'Ezechiel ? Est-ce nouveau pour toi par rapport à l'Etouffeur de la RN 115 qui était un livre plus ouvertement fictionnel ?

Pas du tout, l’étouffeur est complètement autobiographique, j’ai vraiment tué plein de gens en leur enfonçant des objets dans la bouche !

Blague à part, il y a effectivement une part d’autobiographie dans Les Larmes mais plutôt que d’autobiographie, il s’agissait plus pour moi d’insufler du réel dans le récit ou des signes de l’époque contemporaine, un truc du genre. C’est une démarche que j’avais déjà amorcée dans des récits plus court comme dans « Grandma’s painting », une histoire parue en anglais en Slovénie et restée inédite en France jusqu’à maintenant.

9/ Quel rapport entretiens-tu plus globalement avec l'autofiction qui est un "genre" qui domine, voir etouffe beaucoup la BD française ?

Si je ne dis pas de betise, je crois que Michel Leiris, dans l’introduction qu’il écrivit pour la seconde édition de l’âge d’homme, comparait l’autofiction en littérature à la corne du taureau dans la tauromachie.
Evidemment aborder des choses vécues et très personnelle au sein d’une ficiton, c’est aussi se mettre en danger. Dans une certaine mesure.
En tous cas, on peut ressentir une forme de mise en danger de soi dans le travail d’écriture quand on insère des souvenirs assez essentiels, il y a un effet de vertige un peu masochiste, quelque chose comme ça, je ne sais pas trop décrire cette sensation.

Mais bon, personnellement je ne fais pas d’autofiction stricto sensu.

Maintenant, c’est vrai que c’est devenu une sorte de genre dans la BD française et le problème d’un genre quand il devient à la mode, c’est qu’il offre un canevas qui paraît simple et qui permet à toutes les feignasses de se greffer dessus en espérant faire un carton.
Ce sont d’ailleurs en général ces derniers qui ont effectivement du succès, alors ils sont encouragés.

10/ Tu travailles également pour divers quotidien (et magazines ?). Qu'est-ce qui change dans ta démarche quand tu dessines "pour toi" et quand tu dessines pour une commande ?

Je fais très peu de travail de commande en définitive, mais il est certain que c’est différent : quand je fais un dessin, mettons pour une expo, je me pose davantage des questions de composition de l’image etc.ce que j’y met d’un point de vue purement figuratif dépend de moi, de mes envies ou des références culturelles ou autres que j’ai envie d’y mettre.
Pour une illustration, je me pose à peu près les mêmes questions sauf que je privilégie surtout le lien avec le texte à illustrer. C’est moins libre.

11/ Accepterais-tu de travailler sur une BD dont tu n'aurais pas signé le scénario ?

Pas pour le moment, car j’éprouve peu de plaisir à dessiner de la bande dessinée. J’aime faire des dessins disons, non narratifs etc. mais le dessin de BD, je trouve ça fastidieux et souvent assez ennuyeux à faire, alors si je n’ai pas le plaisir de l’écriture et du découpage etc. pour me motiver, je pense que je trouverais ça tout simplement déprimant.
Mais peut-être que je changerai d’avis.

12/ L'Etouffeur de la RN 115 fleurtait un peu avec le "genre". Les Larmes d'Ezechiel est quant à lui plus réaliste, plus ancré dans le quotidien, la normalité. Reviendrais-tu volontiers vers le "genre" ?

C’est drôle car j’avais un peu envisagé les larmes d’ezechiel comme une bd de genre, une romance en l’ocurence, mais il est vrai que ça ne marche pas trop sur ce registre…
Mais oui, j’aimerais faire de la bd de genre, la prochaine en vue sera une fable cruelle sur l’enfance, est-ce un genre littéraire ? un peu, non ?
Il faudrait que je relise la Comtesse de Ségur et poil de carottes, ce genre de choses un peu sadiques.

13/ Il y a t-il d'autres genres que tu voudrais explorer ? La SF par exemple ? Est-ce un genre qui te tenterait d'investir ?

J’aimerais trouver une idée valable de scénario d’épouvante mais ça me semble compliqué. Compliqué parce que si tu fais de l’épouvante mais qu’au final ça ne fait pas peur, quel intérêt ? or, créer la peur en bd, c’est loin d’être évident...
Mais j’aimerais bien m’y atteler.

La sf m’attire moins, la sf en bd m’a toujours assez mortellement ennuyé.

Le fantastique m’intéresse aussi. Mais je ne suis pas non plus convaincu que ça soit un genre très applicable à la bande dessinée ou tout du moins pas un genre que je serais capable d’appliquer.
Mais j’aime beaucoup les films de John Carpenter alors c’est tentant.

14/ Du pain sur la planche pour l'avenir ? Avec quels ingrédients comptes-tu nous cuisiner pour ton prochain ouvrage ?

En ce moment je fais surtout du dessin pour des expos, sinon je vais faire cette bd sur les déboires d’un gamin qu’une vieille grand-mère accariâtre force à se déguiser en petite fille. Ça c’est prévu pour une nouvelle collection de livres courts (30 à 38 pages) mais de grand format chez Actes Sud.
J’espère finir ça pour septembre 2010.
Ce sera a priori assez méchant.

Et puis après je ne sais pas… je vais peut-être piquer une crise et abandonner la BD car c’est un peu ingrat.

Peut-être un recueil de dessins un de ces jours.
Ah oui ça, ça serait bien.